Trois usages de Bitcoin qui vont changer le monde



La généralisation de Bitcoin aura des conséquences profondes : c’est une nouvelle forme de monnaie, simplifiant et améliorant les solutions existantes, et autorisant des usages jusqu’alors impossibles. Mais même les plus fervents partisans de Bitcoin ont encore du mal à en mesurer l’impact potentiel, tant les possibilités qui s’ouvrent à nous sont immenses. A court ou moyen terme, on peut toutefois anticiper au moins trois usages essentiels, qui auront des conséquences majeures.

1. Des transferts de fonds internationaux rapides et bon marché

Envoyer de l’argent de personne à personne, d’un pays à un autre, est une pratique courante aujourd’hui. Si certains de vos amis ou membres de votre famille sont partis vivre à l’étranger, ou si vous êtes un expatrié travaillant dans un pays tiers, vous allez certainement, et même parfois régulièrement, devoir procéder à des transferts de fonds d’un pays à un autre.
Pour le cas des travailleurs émigrés, il existe d’ailleurs un mot anglais pour décrire cette pratique : remittances. Une remittance désigne l’envoi, par un travailleur expatrié, d’une partie de son salaire à sa famille restée dans son pays d’origine. Plus globalement, le mot est synonyme d’envoi de sommes d’argent relativement faibles (de l’ordre de centaines d’euros), d’un pays à un autre.
Ces remittances font l’objet de nombreuses études, et la Banque Mondiale y consacre des rapports réguliers, ainsi qu’un vaste site Web. Et pour cause, le volume total annuel des transferts de fonds a représenté un volume conséquent de 542 milliards de dollars en 2013, envoyés par 232 millions de personnes. La Banque Mondiale estime que le volume global dépassera les 600 milliards de dollars en 2015.
Là où le sujet devient intéressant, sous l’angle Bitcoin, est quand on considère les frais financiers accompagnant ces transferts : en janvier 2015, la Banque Mondiale estime que les frais afférents à l’envoi de 200$ à l’étranger sont en moyenne de 8% (et a d’ailleurs pour ambition de les faire baisser à 5% en cinq ans).
Le calcul est facile à faire : chaque année, ces petits transferts internationaux génèrent donc entre 40 et 50 milliards de dollars en frais d’envoi. Un joli gâteau, que se partagent aujourd’hui banques et organismes financiers spécialisés.
Evidemment, ce 8% est une moyenne globale. La France n’est pas un très bon élève dans ce domaine et les frais y sont en moyenne supérieurs à 10%. Par exemple, envoyer de l’argent en Algérie depuis la France est assorti de frais de 13,5%. Concrètement, envoyer 140€ vous coûtera en moyenne 19€. Et certaines banques vous factureront ce service 37€ (!).
Quand on connaît Bitcoin, cela paraît choquant. Envoyer l’équivalent de 200€ via Bitcoin (c’est-à-dire environ 1 bitcoin), n’importe où dans le monde, générera des frais négligeables (très inférieurs à 1%).
A cela s’ajoute le facteur temps : s’il existe des services quasi immédiats, comme Western Union ou MoneyGram, les transferts bancaires, eux, nécessitent en général trois jours, voire beaucoup plus. Avec Bitcoin, il faut au maximum 10 minutes (souvent moins) pour envoyer n’importe quelle somme n’importe où.
En résumé, on a d’un côté des systèmes souvent lents (parfois très lents), relativement chers (parfois très chers) et de l’autre on a Bitcoin, avec des transferts quasi immédiats et quasi gratuits. Il n’est pas nécessaire d’être un génie de la finance pour comprendre que les gens vont rapidement plébisciter une solution efficace, bon marché et parfaitement adaptée à leurs besoins, pour envoyer des fonds à l’étranger.
Sans surprise, le marché des remittances suscite un fort intérêt dans l’univers Bitcoin. Plusieurs services spécialisés dans l’envoi de fonds à destination de pays donnés, via Bitcoin, sont apparus ces derniers mois : Palarin pour les Philippines, BitPesa pour l’Afrique, Beam pour le Ghana, CoinPip pour plusieurs pays (Australie, Brésil, Canada, Chine), par exemple. La plupart de ces services fonctionnent de façon similaire : on envoie des bitcoins au pays d’origine, qui sont immédiatement convertis dans la monnaie locale. C’est rapide, sécurisé et assorti de frais largement plus raisonnables. Des associations se sont aussi créées pour promouvoir les monnaies électroniques, comme la Africa Digital Currency Association, qui fustige « l’oligarchie des sociétés de transfert de fonds traditionnelles et leurs frais aussi exorbitants qu’injustes ».
Il ne fait aucun doute pour moi que les transferts internationaux de petites sommes seront la première « killer application » de Bitcoin. Banques et entreprises spécialisées ont mangé leur pain blanc, et vont voir peu à peu s’effriter le pactole de plus de 40 milliards de dollars qu’elles engloutissaient jusqu’alors chaque année.

2. Une alternative aux banques pour ceux qui n’en ont pas

La moitié des adultes vivant sur cette planète n’ont pas de compte en banque. Cela représente 2,5 milliards de personnes qui, aujourd’hui, n’ont pas d’autre moyen de paiement que l’argent liquide.
Une large proportion de ces personnes habitent dans des pays pauvres, notamment en Afrique et en Asie, mais aussi dans des pays très développés (on estime par exemple que 12% des Américains n’ont pas de compte en banque).
Bitcoin est, là aussi, une solution toute trouvée et va jouer un rôle majeur pour fournir aux « non bancarisés » des outils largement plus souples et plus sécurisés que ne le sont pièces et billets traditionnels.
Prétendre que Bitcoin, une technologie numérique sophistiquée, est une voie d’avenir pour des pays en voie de développement peut paraître audacieux, voire utopique et irréaliste. Pourtant, cette opinion fait sens dès qu’on considère un simple fait : il y a beaucoup plus de téléphones mobiles en service que de personnes disposant d’un compte en banque.
Partant de là, sachant combien il est facile de créer un porte-monnaie Bitcoin raisonnablement sécurisé avec un simple téléphone, et combien il est souvent difficile (voire impossible) d’ouvrir un compte en banque, il est facile de prédire une évolution naturelle : les mobiles vont s’imposer comme une solution privilégiée, naturelle et immédiate, pour gérer de l’argent sans banque mais via Bitcoin.
Cette opinion est partagée par beaucoup d’entrepreneurs de l’univers Bitcoin. « Je crois sincèrement que Bitcoin est le meilleur espoir, pour les milliards d’individus qui n’ont pas de comptes bancaires, de participer à l’économie globale », estime par exemple Wences Casares, serial entrepreneur argentin, aujourd’hui millionnaire mais d’origine très modeste, co-fondateur de Xapo, un porte-monnaie Bitcoin ultra-sécurisé.
« Les services financiers actuels de base sont plus chers et plus exclusifs qu’ils ne devraient l’être. Si nous pouvons faire évoluer la finance numérique pour parvenir à un service léger et quasiment gratuit, nous pourrons l’offrir à tout le monde, y compris aux gens qui en sont aujourd’hui exclus », résume Lui Smyth, PDG de Coinjar, un porte-monnaie Bitcoin en ligne opéré depuis l’Angleterre. Il souligne d’ailleurs, avec justesse, la nature par essence démocratique et égalitaire de Bitcoin : « La création d’un porte-monnaie Bitcoin est gratuite et instantanée, largement départie de restrictions, et offre un service aussi efficace aux riches qu’aux pauvres ».
« De nombreux pays (Argentine, Zimbabwe, Russie…) seraient bien plus riches et se porteraient bien mieux s’ils avaient disposé de Bitcoin ou d’autres monnaies électroniques depuis quelques générations, plutôt que de d’utiliser des monnaies papier », avance même Dan Morehead, PDG de Pantera, une société de capital-risque spécialisée dans les projets Bitcoin.
Dans une conférence passionnante donnée en début de mois à Miami (texte intégral ici), Morehead explique comment « Bitcoin aura un impact considérable et positif pour les pays en voie de développement », et comment nous allons rapidement entrer dans l’ère de « l’argent sur mobiles ». Il cite notamment l’exemple du Kenya, un pays où l’utilisation du mobile pour traiter les flux financiers est déjà avérée. « Les monnaies numériques ou l’argent sur mobile ne sont plus des idées futuristes ou science-fictionesques, uniquement évoquées dans la Silicon Valley. C’est la réalité bien réelle au Kenya. Le Kenya est le leader mondial en matière d’argent sur mobile. Plus des trois quarts de la population adulte utilise un téléphone mobile pour le commerce et l’essentiel du PNB du pays est constitué d’argent sur mobile », décrit-il.
Cette réalité se concrétise déjà par des services offrant une forme de bancarisation, sans banques. Aux Philippines, Coins.ph permet à des employés ne disposant pas de comptes en banques de recevoir leurs salaires via Bitcoin, et l’entreprise a d’ailleurs conclu récemment un partenariat avec l’opérateur américain BitWage pour payer par ce biais les salaires des travailleurs expatriés.
Des pays dans lesquels s’est développée une forte culture du mobile vont donc facilement adopter Bitcoin, et cela peut aller très vite. Il y a quelques jours, la solution de messagerie Telegram, fière d’une communauté de 50 millions d’utilisateurs, à lancé Telebit, un service permettant très facilement de s’envoyer de petites sommes en Bitcoin entre usagers. Des porte-monnaies Bitcoin sont créés pour chaque utilisateur, à la volée, après l’envoi d’un simple message au service. Du jour au lendemain, plusieurs dizaines de millions de personnes, sans même connaître Bitcoin ou avoir à installer une quelconque nouvelle application leur mobile, sont ainsi devenus des utilisateurs potentiels de Bitcoin.
Le mouvement est donc engagé, et la progression de Bitcoin dans les pays dits « pauvres » va probablement suivre une croissance vertigineuse. Je suis même prêt à parier que, paradoxalement, l’acceptation et la généralisation de Bitcoin va se faire à un rythme beaucoup plus soutenu dans les pays peu développés que dans nos pays « riches », caractérisés par une forte culture bancaire (et les puissants monopoles qui vont avec).

3. Identification et stockage en mode décentralisé

Bitcoin est une monnaie, mais c’est aussi un protocole, caractérisé par un registre décentralisé et partagé, la chaîne de blocs. Cette chaîne de blocs, librement consultable, contient de façon cryptée toutes les données nécessaires à reconstituer l’intégralité des transactions Bitcoin. Mais rien n’oblige ces transactions à porter sur des échanges financiers. Une transaction Bitcoin est avant tout un échange de données numériques entre deux ordinateurs, cet échange étant dûment validé et inscrit dans un fichier public partagé, ultérieurement consultable par tous, depuis n’importe où.
De fait, un usage possible de Bitcoin est la création de registres servant à valider tous types de documents, à prouver l’antériorité ou la paternité d’un ensemble de données, ou à identifier des personnes et des biens.
Beaucoup de gens estiment qu’il y a en la matière un outil d’une puissance inégalée. Certains pensent même que l’ensemble de l’Internet pourrait être redéfini, ou restructuré, sur la base du principe de chaîne de blocs (c’est d’ailleurs bien l’intention de certains créateurs de monnaies alternatives inspirées de Bitcoin).
Concrètement, tout internaute pourrait stocker de façon sécurisée les données définissant son identité numérique dans la chaine de blocs Bitcoin, devenant un moyen universel pour s’enregistrer quelque part ou prouver son identité. Le stockage de données diverses, la certification de documents officiels, voire la notion même de copyright pourraient être radicalement transformés par le principe de chaîne de blocs.
De nombreux projets plus ou moins avancés vont dans ce sens. Par exemple, Blockstore est un outil permettant de stocker des noms dans la chaîne de blocs Bitcoin et de leur associer des données de façon sécurisée. Par la suite, n’importe qui peut effectuer des recherches sur ces noms, et obtenir les données correspondantes (détails ici). Autre service en cours d’élaboration, iNation envisage de permettre à tout internaute de stocker dans la blockchain tous ses documents officiels – passeport, certificat de naissance, contrat de marriage, etc. Proof of existence sert, lui, à protéger tout type de document en en certifiant la paternité via Bitcoin, tandis que Blocksign permet la signature officielle d’un contrat ou d’un accord entre plusieurs personnes, le processus d’authentification étant validé et sécurisé avec Bitcoin.
Plusieurs projets similaires, parfois plus complexes (smart contracts ou colored coins, par exemple), sont en gestation, et tous tirent parti de l’un des principes clés qui préside au fonctionnement de Bitcoin : la non nécessité d’un tiers de confiance. Validation et sécurisation des échanges s’effectuent par consensus, via le protocole Bitcoin, qui gère tout aussi parfaitement des échanges financiers que tout autre type de transactions.
Tout cela demeure embryonnaire, mais il me paraît très probable que bon nombre des applications et services rendus possibles par Bitcoin ne seront pas de nature financière, mais conduiront à transformer les notions même de validation, de certification, et d’identification, par le biais de protocoles sécurisés, décentralisés et universels s’appuyant sur la chaîne de blocs Bitcoin.