Des voisins dans la cour
Article par Danielle Bonneau @ La Presse
Dans des villes où le prix des propriétés grimpe sans cesse, l’idée d’ajouter une annexe dans la maison ou dans l’arrière-cour devient séduisante. Or, beaucoup de municipalités continuent de l’interdire. Après les États-Unis et le Canada, un mouvement s’organise au Québec pour que cela devienne monnaie courante.
Un quadruplex dans la ruelle
Logements locatifs dans l’arrière-cour. Appartement au sous-sol pour fiston. Agrandissement pour grand-maman. Les solutions pour répondre à une multitude de besoins existent. Ceux qui peuvent mener à terme leurs projets sont toutefois l’exception. Mais un vent de changement commence à souffler.
Hervé Holdrinet n’occupait que le tiers de son vaste terrain, qui donne sur une ruelle, dans Le Plateau-Mont-Royal. Il trouvait insensé que sa cour ombragée ne serve plus qu’à garer sa voiture. Il s’est donc lancé dans une grande aventure pour faire construire quatre logements locatifs, rattachés à son triplex par des escaliers et quatre espaces de rangement.
Les échanges avec l’arrondissement, entamés en 2015 et menés par l’agence Microclimat Architecture et Construction, se sont échelonnés sur un an et demi. Le week-end de Pâques, les locataires se sont installés dans leurs appartements tout neufs, loués en moins d’une semaine. Deux des quatre logements, répartis sur deux étages, ont trouvé preneur en moins de 24 heures.
«J’ai pris une décision d’affaires, indique M. Holdrinet, qui a acheté sa propriété il y a presque 20 ans. J’ai voulu assurer mon fonds de pension et optimiser mon investissement. Mais j’étais aussi conscient qu’un côté de mon terrain ne servait à rien et que je pouvais permettre à d’autres de profiter de son excellent emplacement. Cela faisait partie de l’équation.»
La nouvelle bâtisse est considérée comme un agrandissement du triplex. La présence d’un lien physique entre les deux bâtiments a permis de tirer le meilleur parti du terrain, sans perdre le moindre pied carré.
Densifier en douceur
Un projet à la fois, principalement dans le Plateau et Rosemont, Microclimat Architecture et Construction cherche à intégrer le mieux possible de nouveaux bâtiments en arrière-cour, en tirant profit des ruelles. «Pour nous, c’est une question de densification, indique Olivier Lajeunesse-Travers, cofondateur de la jeune agence. Cela tombe sous le sens, pour consolider les services et infrastructures qui existent déjà. Il faut s’en préoccuper et donner des exemples intéressants.
«C’est un défi à chaque fois, précise-t-il. Il n’y a pas de recette toute faite. Il faut se soucier des vues, des relations avec les voisins, de l’ensoleillement, de préserver l’intimité, de garder des espaces verts. Mais le potentiel est intéressant.»
Les fondateurs d’Arpent, une firme d’urbanisme à but non lucratif, tous issus de la banlieue, ont décidé de leur côté de se pencher sur le sort des banlieues de la première couronne, pour y favoriser une certaine densification en douceur.
«Dans des quartiers vieillissants, il y a moyen d’adapter des maisons ou d’ajouter des annexes sur de grands terrains, pour favoriser la création de logements abordables», indique Justin Verville Alarie, cofondateur d’Arpent.
Les avantages seraient nombreux, explique-t-il, puisque cela permettrait de préserver des terres agricoles et des milieux naturels, tout en diminuant la dépendance à l’automobile. En renforçant des quartiers existants, l’implantation des transports collectifs serait en effet favorisée. La marche et le vélo seraient aussi encouragés.
Il donne en exemple trois possibilités: l’ajout d’une annexe rattachée à la maison avec sa propre entrée, la construction d’un pavillon de jardin détaché en arrière-cour, et l’aménagement d’un logement dans le sous-sol ou le garage, au vu et au su de la municipalité.
Presque impossible au Québec
Or, en ville comme en banlieue, les contraintes sont nombreuses, empêchant la construction d’annexes comme cela se fait ailleurs en Amérique du Nord, ont dénoncé des conférenciers et de nombreux participants au Premier forum québécois sur l’avenir des unités d’habitation accessoires (UHA), organisé en février par Arpent, qui a réuni environ 150 personnes.
«Cet outil de densification répond aux besoins de la société, qui évolue», a indiqué Emmanuel Cosgrove, directeur d’Écohabitation, lors du colloque.
La hausse du prix de l’immobilier et des impôts fonciers, le désir de vieillir chez soi, la difficulté de trouver du logement abordable dans des quartiers établis, la nécessité de freiner l’étalement urbain sont toutes d’excellentes raisons pour permettre, tout en l’encadrant, de nouvelles façons d’habiter la ville et la banlieue, ont plaidé divers intervenants.
«Je suis tanné de la clandestinité dans les sous-sols et les garages», s’est insurgé M. Cosgrove. Selon lui, des maisons bigénérationnelles, des agrandissements connexes et des pavillons dans la cour pour un grand enfant aux études ou la belle-mère sont à privilégier.
«Plus de la moitié des Québécois habitent des quartiers à faible densité. Cela entraîne beaucoup de dépenses liées au déplacement et d’émanations de gaz à effet de serre. Une meilleure occupation du territoire, c’est très écolo. C’est ce qui aura le plus d’incidences sur l’environnement.»
La solution est entre les mains du gouvernement québécois qui pourrait, comme l’Ontario en 2011, exiger que les municipalités autorisent les unités d’habitation accessoires.
«Le frein est réglementaire, point final, indique Emmanuel Cosgrove. À Toronto, où les logements sont inaccessibles pour la majorité, les UHA permettent à un plus grand nombre d’habiter dans des quartiers recherchés de façon abordable, souvent entre générations d’une même famille. À Vancouver, où un couple avec un salaire raisonnable a besoin d’une unité à revenu pour acheter une maison, on ne voit rien de mal aux logements locatifs, qui densifient la trame urbaine.»
Écohabitation veut profiter des prochaines élections pour sensibiliser les quatre partis à la question. Faciliter le développement des UHA figure parmi les toutes premières actions évoquées dans son Manifeste pour un mouvement vers l’habitation durable. La Société d’habitation du Québec (SHQ), qui a commandité et participé au forum sur les UHA, «entend évaluer éventuellement le potentiel des UHA dans une optique d’inclusion sociale, d’accession à la propriété, d’accessibilité à un logement abordable et de développement des habitations bigénérationnelles, indique Sylvain Fournier, conseiller en communication de l’organisme gouvernemental. La SHQ assure une veille sur le sujet et est intéressée à soutenir cette démarche comme, par exemple, en faisant partie de comités qui se pencheront sur le sujet».
En vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, les municipalités ont tous les pouvoirs afin d’autoriser et régir l’implantation sur leur territoire d’unités d’habitation accessoires, comme les minimaisons, fait remarquer pour sa part Sébastien Gariépy, relationniste de presse au ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire. «Il revient donc aux municipalités de prendre les décisions qui leur apparaissent les plus appropriées en ce domaine en fonction des orientations d’aménagement qu’elles se sont données», précise-t-il. Certaines se penchent déjà sur la question. À suivre.
Le mois des UHA
Les UHA seront sous les projecteurs en mai. Chaque jour, sur les réseaux sociaux, Écohabitation publiera une photo.
Une réglementation stricte
Ceux qui désirent acheter un premier logement dans un quartier recherché à Montréal n’ont qu’une option, la copropriété, déplore Rob Miners, cofondateur du Studio MMA Architecture & Design.
«Ce n’est pas nécessairement ce qu’ils recherchent», dit-il. À Toronto, où les règlements sont plus souples, les constructions donnant sur des ruelles fournissent des occasions très intéressantes pour créer plus de logements pour des gens qui veulent rester en ville.»
Si la réglementation le permettait, un groupe d’amis pourrait acheter un triplex, sachant qu’il pourrait construire un duplex détaché à l’arrière, fait remarquer l’architecte, qui a le développement durable à coeur. «Ce peut être très agréable, en plus d’être très écologique, puisque les infrastructures existantes sont utilisées.»
Les contraintes imposées par les arrondissements et les municipalités sont toutefois nombreuses, limitant la construction d’annexes à l’intérieur des habitations et en arrière-cour.
Même l’aménagement d’un logement locatif dans un sous-sol pourtant bien éclairé d’un duplex peut poser problème. Un projet soumis il y a quelque temps, qui répondait en tous points aux exigences, s’est buté à un non catégorique, cite en exemple M. Miners. Au grand regret du propriétaire.
Les annexes permises à Ottawa
Ottawa a mis en place un cadre réglementaire innovant pour permettre la construction d’annexes résidentielles détachées et favoriser la densification discrète de quartiers où se trouvent principalement des bungalows, a expliqué Alain Miguelez, du service d’urbanisme de la municipalité, lors du Premier forum québécois sur l’avenir des unités d’habitation accessoires (UHA).
Le tout s’inscrit dans une réflexion pour freiner l’étalement urbain, accroître l’offre de logement abordable et augmenter la population afin de nourrir le futur réseau de train léger, qui devrait entrer en service en novembre.
Les annexes résidentielles ne doivent pas changer le caractère des quartiers. Plus petites que l’habitation principale, elles doivent s’intégrer dans leur environnement.
Consultez Le guide du propriétaire pour l’aménagement d’une annexe résidentielle à Ottawa: https://documents.ottawa.ca/sites/documents.ottawa.ca/files/how_to_coach_fr.pdf
Ailleurs
Vancouver
Dans le quartier Mount Pleasant, à Vancouver, Studios Smallworks a réalisé cette maison de ruelle de 950 pi2. Comportant trois chambres et deux salles de bains, elle a un revêtement extérieur qui s’harmonise avec celui de la maison principale.
Edmonton
Un peu partout dans Edmonton, les maisons construites en arrière-cour portent le joli nom de garden suites. Ces pavillons de jardin, à la structure permanente, mesurent de 400 à 800 pi2.
Portland (Oregon)
Les unités d’habitation accessoires (traduction d’accessory dwelling units) se multiplient dans la plus grande ville de l’Oregon, empruntant diverses formes. Un garage, à l’arrière de la propriété, a par exemple été transformé pour être habité à longueur d’année.
from Blog Montréal Immobilier https://ift.tt/2F4bICn
via IFTTT